Qu’on le veuille ou non, nous allons devoir changer, rapidement. Mais peut-être avons-nous tout à y gagner?

La fin d’un cycle

Il y a 445 millions d’années (Ma), probablement à la suite d’une grande glaciation qui aurait entraîné des désordres climatiques et écologiques, environ 85% des espèces vivantes sur terre disparaissent. 80 millions d’années plus tard (~-370 Ma), des variations répétées et significatives du niveau de la mer et du climat, ainsi que l’apparition d’un couvert végétal important sur les continents, pourraient être à l’origine de l’extinction de 75% des espèces de l’époque. Encore 120 millions d’années après (~-250 Ma), près de 95% de la vie marine disparaît ainsi que 70% des espèces terrestres (plantes et animaux). Puis, encore 50 millions d’années plus tard (~-201 Ma), l’extinction du Trias-Jurassique marque la disparition de 75% des espèces marines, et de 35% des familles d’animaux. Enfin en -66 Ma, les dinosaures disparaissent lors de l’extinction Crétacé-Paléogène qui tue 50% des espèces (source: Wikipedia).

Il ne fait désormais plus aucun doute que nous sommes à un tournant majeur de l’histoire de cette planète. Mais cette fois-ci, c’est l’humanité qui pourrait prochainement être responsable de la 6e extinction de masse, en ayant colonisé la majeure partie de la surface terrestre au détriment des autres espèces et amorcé un réchauffement climatique planétaire bientôt inarrêtable.

En effet, l’activité de près de 8 milliards d’humains soumis au système capitaliste a entre autres provoqué une augmentation importante de la concentration de différents gaz à effet de serre dans l’atmosphère, causant une plus grande capture de l’énergie thermique solaire par cette dernière. L’extraction de combustibles fossiles (gaz, pétrole) puis leur combustion, les élevages ou les décharges, libèrent en effet dans l’air des gaz à effet de serre tels que du dioxyde de carbone (CO2) jusqu’alors stocké dans le sous-sol, du méthane (CH4) ou du protoxyde d’azote (N2O) entre autres. Leurs concentrations respectives ont augmenté de 47% pour le CO2 (280 à 412 ppm), 157% pour le CH4 (0.7 à 1.8 ppm) et de 21% pour le N2O (0.270 à 0.327 ppm) par rapport à la normale préindustrielle.

Les conséquences du réchauffement climatique

Les effets de l’augmentation de chacune de ces concentrations sur le réchauffement global sont complexes, mais il faut avant tout retenir ici que les changements mesurables sont énormes et que les près de 30’000 scientifiques ayant participé au groupe intergouvernemental d’étude du climat (GIEC, dépendant de l’ONU. Voir ipcc.ch) ainsi que les autres organismes internationaux (OMC et OMS entre autres) et les nombreuses ONG et spécialistes, ont toutes les raisons d’être alarmistes. Car on aurait tord de croire que quelques degrés de plus ne causeront qu’un peu plus de climatisation en été et des hivers plus doux. En effet, il se trouve que notre environnement est complexe et des réactions en chaînes catastrophiques sont à prévoir. Plus il fait chaud, plus certains arbres meurent et se décomposent en libérant le CO2 emmagasiné durant leur croissance. Et plus il fait encore plus chaud puisque ce gaz augmente alors l’effet de serre, entraînant à son tour la mort d’encore plus d’arbres! Une fois la boucle de rétroaction lancée, nul ne se risque à tenter de prévoir quand et comment elle s’arrêtera.

Un autre « effet domino » simple concerne la fonte de glaciers, qui découvrent alors une surface plus sombre réfléchissant moins la lumière et emmagasinant alors davantage la chaleur solaire. Plus la glace fond, plus il fait chaud et plus la glace fond encore. Mais savez-vous que certains glacier renferment aussi de grandes quantités de méthane, considéré comme provoquant un effet de serre 30x plus important que le CO2 à volume égal?

Une fois ces connaissances comprises, il devient alors parfaitement raisonnable de paniquer (comme le disait très justement Greta Thunberg l’an passé à Davos)! Car il est probable que ces boucles de rétroaction s’activent avec un réchauffement compris en 2°C et 5°C, ce vers quoi nous nous dirigeons à pleine vitesse! Sans décroissance rapide et radicale des émissions de gaz à effet de serre, c’est bien la 6e extinction de masse qui devient l’issue la plus probable: la mort de la majeure partie de l’humanité, mais aussi des autres animaux et végétaux.

Un policier à côté de l’inscription « nous voulons un futur » peinte sur le sol lors d’une action de membres du groupe Extinction Rebellion.

Le meilleur des mondes?

D’un autre côté il est courant d’assumer que nous vivons aujourd’hui dans le meilleur des mondes. En effet, nous avons développé d’innombrables connaissances et innovations techniques, inimaginable il y a encore quelques décennies, qui nous permettent de décéder après un nombre d’années moyen vraisemblablement encore jamais atteint, et d’augmenter notre maîtrise sur l’environnement à un point tel que beaucoup dépensent désormais davantage de leurs revenus dans des produits de luxe que pour satisfaire leurs besoins primaires (nourriture et logement chauffé). La globalisation de la planète nous permet aujourd’hui de manger des aliments produits à l’autre bout du monde et encore inconnus en Europe il y a peu. Ils sont rapatriés par des millions de camions, de bateaux aussi gros qu’un petit village ou même par avion. Ce flux planétaire est possible à l’aide de bourses financières internationales où les prix des produits échangés sont ajustés chaque seconde en suivant la loi considérée comme « naturelle » de l’offre et de la demande: plus il y a d’offre, plus les prix baissent, et plus il y a de demande, plus ils augmentent.

Toute cette machinerie tentaculaire n’est soumise qu’à une condition décisive: voir la « richesse » produite (produit intérieur brut ou PIB) augmenter chaque année. C’est la croissance économique. En effet, dans un système en expansion, il est mathématiquement plus probable de gagner que de perdre. Les investisseurs (au sens large) préfèrent donc très nettement ce cas de figure qui leur assure statistiquement d’augmenter leur fortune. Du coup, pour augmenter le PIB, il n’y a grossièrement qu’un moyen: produire plus. Pour ce faire il faut alors exploiter davantage l’environnement (minéral, végétal ou animal), humains y compris. Mais alors qu’on parle de plus en plus du premier et de ses fâcheuses conséquences (cf. paragraphe précédent) on est souvent plus succinct en ce qui concerne les seconds. Et souvenez-vous, davantage d’offre n’est utile que si il y a en face davantage de demande pour y répondre. Alors comment l’augmenter?

Cette situation nous rend malheureux

Exploitation, voilà un mot d’une violence inouïe pourtant rentré dans les mœurs, car c’est finalement la condition de notre « richesse » actuelle. Mais quand on y pense vraiment, comment ne pas être attristé par sa seule évocation. Seriez-vous agréablement exploité.e si tel était le cas? Diriez-vous à votre conjoint que vous avez été bien exploité.e aujourd’hui en rentrant le soir à la maison? Héritier d’une logique de domination égoïste sans scrupules et donc inhumaine, ce mot qualifie pourtant chaque exploitation agricole, animale, minière, ou systèmes informatiques éponyme. Probablement n’a t’on pas encore osé qualifier des bureaux d’exploitation humaine, mais cela ne saurait sans doutes tarder. Après tout nous sommes bien avant tout des « ressources » dans le monde professionnel. Humaines certes, mais avant tout ressources productivistes.

Tout ça pour dire que cette exploitation totale et injuste, industrialisée et assumée par le capitalisme, ne peut que nous rendre triste. Car l’exploitation ne comprend ni respect, ni amour, ni justice. Sans parler du fait que 2% de croissance annuelle se traduit à terme par 2% de gain de productivité chaque année chez les salariés. Ils sont alors poussés dans une course folle et aliénante dans laquelle il faut courir chaque tour plus vite que le précédent, sans fin. Notre monde est-il alors si rose qu’on le croit?

L’ insatisfaction cause la surconsommation, et c’est tant mieux pour la croissance du PIB

Mais ce n’est pas fini. Souvenez-vous, l’exploitation nous permet d’avoir plus d’offre, mais comment augmenter la demande? Une fois payés les besoins primaires et secondaires et quelques produits de luxe, l’humain moyen ne demande guère plus, ce qui ne permet pas de satisfaire une croissance continue année après année. Il faut donc le pousser à consommer plus qu’il n’en a réellement besoin. On parle alors de « créer des besoins ».

Premier ingrédient: faire en sorte que l’humain soit dans l’insatisfaction. Par exemple en rendant sa vie professionnelle aliénante en en augmentant la charge (voir ci-dessus) ou en le dévalorisant. En lui faisant faire des tâches qu’il réprime (exploiter quelque chose ou quelqu’un par exemple), en retirant une partie du Sens de sa vie, ou encore en le faisant se comparer avec un autre qui lui paraitra enviable, etc.

C’est seulement une fois l’humain insatisfait qu’entre en scène la publicité, véritable bras armé de l’hyperconsommation. Avec un budget de plus de 500€ par français et par an (respectivement 1000 CHF/hab/an en Suisse), elle nous répète inlassablement le même mensonge: regarde comme tu irais mieux si tu achetais ça! Conditionné.es depuis l’enfance par des centaines de ces messages tous les jours, nous sommes désormais habitué.es à tenter désespérément de compenser cette survie insensée par les petits plaisirs éphémères de l’achat. Mais comme cela ne fonctionne pas, il nous en faut toujours plus. Cette boucle infernale désormais bouclée ne nécessite qu’une seule chose: nous rendre le plus malheureux possible.

Le court-métrage « Happiness ». La comparaison n’est pas flatteuse, mais est-elle pour autant si éloignée de la réalité?

Une nouvelle vie heureuse et durable

Nous sommes actuellement un peu comme des chiens qu’on n’aurait jamais laissé sortir d’un appartement luxueux mais à qui on aurait donné chaque jour un sucre. A la mort du propriétaire, les enfants veulent nous faire sortir mais nous nous agrippons au tapis, trop habitués à cet environnement confortable et familier, et attendant désespérément notre friandise qui tarde décidément à venir. Si seulement nous savions ce qui nous attend dehors!

Aujourd’hui il faut arrêter de croire que tout va bien sauf le réchauffement climatique. En vérité énormément de choses vont mal, et le critère purement quantitatif de l’espérance de (sur)vie ne saurait masquer plus longtemps la pauvreté de nos existences. Alors certes, c’est difficile à admettre. Peu aidés par un perfectionnisme ambiant qui ne tolère par l’erreur, et certain.es ayant fait d’énormes sacrifices pour enfin pouvoir s’acheter la vie qu’on leur avait vendue comme réussie, il est parfaitement humain de nier en bloc en s’agrippant au tapis familier.

Mais ce qui pose à beaucoup tant de problèmes pourrait au final se révéler être une solution absolue. Quoi de plus sensé, de plus beau et de plus valable que de se battre pour tenter d’éviter l’extinction globale! De se sacrifier un peu, de renier une partie de notre confort, pour permettre à nos enfants de vive ! Ce défit à l’humanité toute entière n’est pas seulement une question de survie, c’est l’occasion d’enfin bâtir un système dans lequel l’entraide, le partage, l’amour et le bonheur vaudront enfin plus que le capital. Et cela nous rendra heureux!