Le centre agro-écologique des Amanins est né en 2003 de la rencontre entre un chef d’entreprise en quête de Sens et un certain… Pierre Rabhi!

C’était un mardi soir où je poursuivais ma recherche de solutions de vie en société heureuse et durable, lorsque je tombe tout à coup sur une « pause partagée » de 3 jours dans une sorte de ferme autonome dans la Drôme, comprenant en plus une journée en compagnie de Pierre Rabhi. Il faut savoir que cet homme est non-moins que l’auteur du livre Vers la sobriété heureuse, qui est le premier ouvrage que j’avais eu le bonheur de découvrir suite à ma « réussite fracassante » deux ans et demi auparavant. C’était tout simplement providentiel! Et pour couronner le tout, il restait juste une place! On dira ce qu’on voudra, mais des choses pareilles, c’est pour le moins extraordinaire! Il ne me restait plus qu’à trouver comment me rendre sur place moins de 48 heures plus tard, ce qui s’est finalement fait à l’aide du train, de Blablacar inauguré pour l’occasion, d’auto-stop et de covoiturage traditionnel. Je suis même arrivé pile à l’heure au rendez-vous! Quand je vous parle d’extraordinaire…

Les Amanins

Pour moi les Amanins sont avant tout une école hors norme qui accueille 35 à 40 élèves du CP au CM2 (6 à 10 ans, j’y reviens plus bas). Mais c’est aussi 1.5 hectares de cultures maraîchères et quelques champs assurant la quasi totalité de la production alimentaire nécessaire aux repas bio des élèves, des visiteurs, de l’équipe travaillant sur place et des différents animaux. Les blés récoltés sont moulus et cuits sur le site afin de produire un excellent pain totalement local (si l’on exclu le sel). Jusqu’à 4 « WWOOFers » y sont nourris et logés chaque mois en échange de leur travail dans le centre. Une trentaine de brebis ainsi que 3 vaches fournissent le fumier utilisé pour enrichir la terre, ainsi que le lait ensuite transformé en fromages et autres yaourts, affinés et consommés sur place. Les veaux et agneaux sont au menu de l’unique consommation hebdomadaire de viande, au plus grand désespoir de l’éleveuse végétarienne, néanmoins convaincue de la nécessité de conserver le juste nombre d’animaux garantissant l’équilibre de cet écosystème. Enfin, quelques cochons et de nombreuses poules consomment les déchets de la production fromagère et maraîchère.

Il semblerait que cette « WWOOFeuse » ait succombé au charme de la petite brebis noire née quelques jours auparavant :D.

Mais avant que tout ceci n’existe, les différents bâtiments ont étés rénovés ou auto-construits suivant des techniques d’écoconstruction: les murs sont faits en briques de terre ou de paille, servant aussi à l’isolation, de nombreux toits sont végétalisés et le chauffage est effectué au bois provenant de la forêt alentours ou au solaire. Mieux encore, les toilettes sèches récoltent séparément l’urine et les matières fécales. Ces premières finissent dans 3 bassins de phytoépuration d’environ 5×3 m construits en terrasses, et dont l’eau de sortie, successivement filtrée par différents végétaux, est propre à la baignade! De leur côté, les matières solides sont disposées tour à tour dans 6 fosses d’un mètre cube, dans lesquelles des vers de terre les transforment en humus en quelques mois. Ce dernier sert ensuite d’engrais naturel autour des arbres maraîchers. Pour finir, le tout est géré collectivement (sans hiérarchie) et de façon totalement transparente par une équipe d’une quinzaine de personnes ayant fait le choix d’être rétribuées à un même taux horaire d’un peu plus de 10€/heure, les rentrées financières provenant majoritairement des nombreux visiteurs accueillis durant toute l’année.

Je trouve saisissant de remarquer à quel point de nombreux éléments des Amanins, qu’ils soient minéraux, végétaux ou animaux (humains compris), font partie d’un cycle vivant et participent à l’équilibre naturel. Les déchets sont pour ainsi dire inexistants, ce qui se traduit par exemple par la quasi-absence de poubelles. D’ailleurs, les visiteurs sont invités à repartir avec les leurs.

La pause partagée

La bien nommée pause partagée propose à une dizaine d’intéressés de faire connaissance, apprendre les uns des autres et découvrir les Amanins. Sortir de la course frénétique du quotidien, s’arrêter trois jours, et partager sa quête de Sens. Cerise sur le gâteau, un invité est présent le samedi et explique son parcours tout en répondant aux questions des participants. J’ai donc eu le bonheur de rencontrer des personnes d’horizons, parcours et âges variés, toutes exceptionnelles et mues à la fois par l’impératif climatique mais aussi un questionnement profond sur la Vie. Aidés par un encadrement chaleureux et des jeux collaboratifs excellents, nous avons très rapidement formé une petite équipe rayonnant de bonne humeur. Encore un grand merci à tous!

Pierre Rabhi

Pierre Rabhi durant la rencontre aux Amanins.

Le samedi nous avons donc eu le bonheur de rencontrer Pierre Rabhi! Que dire… Du haut de ses 80 ans, il est d’une vivacité d’esprit et d’une humilité hors norme. Durant plusieurs heures, ses paroles me semblèrent tellement proches de ma pensée que je renonçais finalement à lui demander ce qu’il ferait à ma place. C’était évident, il soutenait chacune de mes démarches. Pour reprendre l’image fondatrice, tel le colibri amenant sa goutte d’eau insignifiante afin d’éteindre l’incendie de forêt, le plus important est de faire sa part. Le jour où chacun apportera sa contribution, nous aurons éteint l’incendie, c’est certain, et cela nous aura permis de donner un Sens profond à nos vies. Et lorsqu’on lui demanda comment ne pas se laisser totalement décourager alors que la situation planétaire semble déjà irrémédiable, il répondra simplement qu’il est déjà trop tard, mais il est encore temps!

Soulignant avec malice certaines incohérences de notre société, dans laquelle des athlètes dédient leur vie à gagner quelques millièmes de secondes, et où d’autres cherches désespérément à savoir si il y a une vie après la mort, il nous confiera que lui se demande parfois si ces personnes ne feraient pas mieux de se demander d’abord si elles ont eu une vie AVANT la mort? (voir l’article Travailler moins pour vivre plus!)

L’école du Colibri

L’école des Amanins a été fondée par une certaine Isabelle Peloux, anciennement responsable de la formation des enseignants et selon moi véritable génie de la pédagogie. On y apprend aux élèves à identifier leurs émotions, résoudre les conflits et collaborer ensemble plutôt que de s’affronter entrer eux dans la compétition tant voulue par notre société de marchés. Il en ressort des enfants dont l’intelligence émotionnelle ferait passer bien des adultes pour des attardés sociaux. Sans compter les débats philosophiques hebdomadaires dont la qualité laisse béat. Ah ce qu’on aurait aimé bénéficier d’un camarade médiateur de conflit lorsqu’à leur âge, le petit dur de la classe vous étranglait suite à une remarque mal comprise. On en vient à avoir honte pour notre système éducatif et à se demander pourquoi cet exemple brillant n’est pas déjà devenu la norme. Jusqu’à ce qu’on se rappelle que ces élèves deviennent probablement un peu trop heureux pour finir en bons consommateurs nécessaire à notre sacro-sainte croissance. Bonheur ou capitalisme, il faut choisir. Dans tous les cas, je ne saurais que recommander le film Quels enfants laisserons-nous à notre planète, qui permet de mettre un pied dans ces classes hors norme:

Une solution de vie heureuse et durable?

Mais venons en au but de la démarche: les Amanins sont-ils oui ou non une solution de vie heureuse et durable? Premièrement, et c’est mon plus grand regret, les Amanins sont un lieu d’accueil mais pas un lieu de vie: personne n’habite aux Amanins. La vingtaine de collaborateurs formant l’équipe vit aux alentours et vient simplement y travailler chaque jour. D’après eux c’est une question d’équilibre: ils voient déjà suffisamment leurs collègues la journée pour ne pas avoir envie de passer davantage de temps avec eux. Ceci dit, vivre sur place ne signifie pas forcément partager la même maison et j’imagine qu’il serait donc possible à qui en émettrait le souhait de se construire une cabane à l’un ou l’autre endroit des 55 hectares du terrain, ce qui éviterait de trop vivre les uns sur les autres. Pas si grave donc.

Concernant la durabilité, il ne fait nul doute que le cycle de consommation alimentaire on ne peut plus court et presque sans déchets, la quasi-autonomie alimentaire avec une faible consommation de viande, la capacité d’auto-construction et le chauffage au bois ou solaire en font un exemple modèle déjà bien avancé, permettant d’ailleurs un confort très proche de ce dont on a l’habitude. Seuls les quelques kilomètres journaliers des déplacements en voiture des collaborateurs jusqu’aux Amanins ternissent légèrement le tableau. Mais pour le reste, la durabilité est parfaitement atteinte!

Et le bonheur alors? Premièrement, il semble évident que l’équipe sur place est habitée d’un Sens profond. Les valeurs omniprésentes de respect de la nature et des animaux (humains compris), de durabilité, de partage et de liberté (permise en partie par l’autonomie du lieu), rayonnent sur les collaborateurs et les visiteurs. Ensuite, le modèle de gestion collaborative dans lequel chacun peut s’exprimer et être écouté, et permettant que chacun effectue majoritairement des tâches qu’il apprécie, mais aussi la beauté du lieu, le contact avec les autres et la nature et l’absence de pression productiviste autorisant à faire les choses à vitesse humaine, garantissent de nombreux moments de plaisir tout au long de la journée. Et puis bon, il n’y a qu’à les observer, eux ou nous-mêmes en tant que visiteurs désormais (dé)contaminés par le lieu, pour se rendre compte que le bonheur est bien présent!

Ce sage bélier m’a chuchoté à l’oreille que l’artisanat respectueux rend bien plus heureux que l’exploitation industrielle. Je le crois sur parole!

Reste à discuter de la faisabilité de la reproduction d’un tel modèle, car c’est aussi l’intérêt. Et à ce propos, les 2 millions d’euros investis au début du projet sont une limitation considérable que peu, moi y compris, ont les moyens de franchir. Reste que ce projet présente une solution dans laquelle il a été choisi de faire les choses en grand, ce qui justifie l’important apport financier initial. Il ne fait nul doute que quelque chose de plus petit, peut-être sans bétail ni école, serait nettement plus accessible (voir la vidéo en bas de l’article précédent ou l’histoire de Pierre Rabhi par exemple). Dans tous les cas, les Amanins sont un formidable réservoir à idées et permettent, sur un même endroit, d’ouvrir son horizon des possibles de façon extraordinaire!

Davantage d’informations sur le site internet des Amanins