Rassurez-vous, il ne sera pas ici question de ces horribles jeux télévisés insensés importés des Etats-Unis, dont le but est de faire évaluer par les participants le prix de divers objets de consommation, façon détournée de promouvoir auprès des téléspectateurs de nouveaux objets (in)dispensables qu’il faudra absolument se procurer lors du prochain pèlerinage au centre commercial. Non, je souhaite ici parler de ce qu’il serait peut-être préférable d’appeler le prix juste, comprenant le coût réel de production du produit, mais aussi la pollution générée à moyen et long terme, le tout dans une optique de durabilité et de justice tant sociale qu’environnementale (les deux étant étroitement liés). Voici donc une estimation des prix justes de certains produits courants, ainsi que leurs implications.

En 2016, les combattants de l’état islamique mettent feu aux champs pétrolifère de Moussoul en Iraq, avant de devoir battre en retraite devant les force de la coalitions. Mais quel serait le prix du pétrole s’il était « juste »? Image tirée du film « Human Flow » de l’artiste Ai Weiwei.

De l’établissement des prix du marché

Juste avant d’étudier divers cas concrets, il me semble utile de rappeler brièvement quelles sont les lois qui fixent aujourd’hui les prix des choses, et pourquoi les prix pratiqués actuellement ne sont pas « justes ». Il faut pour cela remonter au 18e siècle lorsqu’Adam Smith énonça les principes d’un marché libre dans lequel les prix seraient fonction de l’offre et de la demande: plus il y en a moins c’est cher et vice versa, tout en considérant que plus on en achète moins il risque d’y en avoir aussi. Une sorte de main invisible permet donc à ce que des emplois soient créés dans les secteurs où la demande est forte puisque les prix sont élevés, alors que les produits peu demandés disparaissent faute de pouvoir en vivre.

Mais au delà de la théorie et de ses nombreuses dérives actuelles, il faut remarquer que la première limitation de cette « main invisible » est temporelle: elle vit dans le présent et satisfait le besoin court-termiste du marché, mais est incapable de compenser les éventuels dommages collatéraux à moyen et long terme tels que l’épuisement des ressources ou la pollution générée. En un mot: la main invisible se contrefout royalement de toute notion de durabilité, et cause donc à mon sens les prix parfaitement injustes auxquels nous avons affaire aujourd’hui. Discutons quelques exemples clefs:

La société du pétrole

Le monde a connu des changements considérables depuis plus d’un siècle, imputés majoritairement, d’après de nombreux experts, à l’exploitation du pétrole. En effet, un litre d’essence contient une énergie colossale qui coûte au minimum 1000x moins cher que l’énergie musculaire humaine. Mais 2€ le litre, contant autant d’énergie que ce que pourrait fournir un travailleur pendant 1 mois, est-ce un prix juste?

Production mondial de pétrole depuis 1900 (en milliers de barils par jour, source: wikipédia).

Comme énoncé précédemment, il manque au prix actuel du pétrole les notions de son épuisement et de la pollution qu’il génère. En effet, il est crucial de réaliser que nous sommes en train d’utiliser en 200 ans un volume de matière qui a nécessité environ 200 millions d’années à se former (source: wikipédia). On le consomme donc environ 1 million de fois plus vite qu’il ne se crée. Un prix plus juste viserait donc la durabilité, à savoir un montant suffisamment élevé pour que nous ne consommions qu’autant de pétrole que ce qu’il s’en crée. Considérant une loi quadratique entre le prix et la demande, à savoir qu’un doublement du prix entraînerait une réduction de la consommation par 4 (ce qui ne doit pas être si éloigné de la réalité), il faudrait donc multiplier son prix actuel par 1’000 afin d’en consommer 1’000’000 de fois moins.

2’000 € le litre d’essence, voilà le juste prix considérant une utilisation durable du pétrole. Ça laisse songeur… L’avantage étant qu’en le consommant de manière durable, les émissions de CO2 n’augmentent pas puisque le CO2 produit lors de sa combustions est capté par les plantes qui se décomposent et redeviennent pétrole à la même vitesse. La durabilité, la solution miracle à… la non-durabilité? Evidemment.

Les produits dérivés du pétrole

Mais ce n’est pas tout, le raffinement du pétrole cause tout un tas de déchets que l’industrie pétrolière a (mal)heureusement finit par réussir à valoriser. Imaginez que vous trouviez un moyen de vendre le contenu de votre poubelle, génial non ? Ils l’ont fait ! Le raffinement du pétrole en essence, mazout et autres kérosènes produit en effet aussi des polymères, plus communément appelés « plastiques », désormais valorisés sous forme de pull en « polaire », de bouteilles plastiques, de tuyaux d’arrosage, de sacs plastiques, de cadres de fenêtre, de carrosseries de mixer ou de télévision, de fourchettes et gobelets, de pelles à neige, de pare-chocs de voiture, d’isolant pour câble électrique, etc. Evidemment que ce n’est pas cher, c’est un déchet ! Mais imaginez seulement: si les sacs jetables en plastiques coûtaient le prix juste estimé précédemment, à savoir 1000x plus cher, nous n’en retrouverions certainement pas autant dans l’océan.

Le transport

Reste la question des transports : avec un litre de diesel à 2’000€, on imagine mal tomber sur un steak de Nouvelle-Zélande au supermarché, ni sur des habits « made in Taiwan ». Difficile aussi pour les traders de faire transiter des millions de tonnes de dentées alimentaires à travers le monde et de spéculer sur leur prix. Alors certes, on oublie aussi le billet d’avion « low cost », mais c’est bien de survie à moyen et long terme qu’il est question ici.

Mieux vaut ne pas trop penser à ce que devrait être le prix juste d’un vol en avion (1000x plus cher, sans les taxes).

L’électricité nucléaire

L’autre prix dont j’aimerais discuter ici est celui de l’énergie atomique, et plus particulièrement la question de la gestion des déchets.

100’000 ans ! C’est certes moins que les 200 millions d’années nécessaires à la formation du pétrole, mais c’est tout de même la période durant laquelle les 5000 prochaines générations devront probablement déterrer 2000 fois (tous les 50 ans) nos 2.3 MILLIARDS DE TONNES de déchets radioactifs (soit une pile qui recouvrirait un terrain de foot et monterait jusqu’à la lune), jusqu’à ce que leur taux d’émissions radioactives soit devenu suffisamment faible pour ne pas transformer la planète en Tchernobyl géant. Alors, combien va-t-il coûter aux 5000 prochaines générations notre fabuleux héritage toxique?

Je vais vous dire une chose : je m’en fout ! Il est absolument inadmissible que nous nous soyons un jour permis de débuter une telle créance envers nos descendants. C’est de loin la plus énorme insulte à notre soi-disant intelligence et il est tout simplement criminel de continuer à produire des déchets radioactifs. Lobbyistes, producteurs, employés, politiques, mais aussi consommateurs, je m’en foutistes et non-manifestants, tous sont coupables de permettre à une telle horreur de continuer. Le progrès va nous sauver et apporter une solution miracle? Ce n’est plus de la religion, c’est de l’intégrisme dément ! Nous n’avons simplement pas le droit de faire un tel pari, l’enjeu est inconcevable et nous dépasse totalement. Tout ça pour payer 20 cts les 1000 watts pendant 1 heure (250x moins cher que l’énergie humaine)? C’est indécent !

Le prix juste

Alors voilà, la prochaine fois que vous prenez l’avion, faites le plein, achetez un produit de lointaine provenance contenant ou emballé dans du plastique, rappelez-vous que le prix que vous allez payer n’est pas juste car il est exempt de toute notion de durabilité. Si ce prix est si faible, c’est qu’il ne contient ni le coût lié à l’épuisement du pétrole, ni celui lié à la pollution générée et à la production du CO2 responsable du réchauffement climatique. En fait ce rabais, ce sont nos descendant qui vont devoir le payer.

Alors si vous le pouvez, imaginez le prix juste : partez en vacances proche de chez vous, vivez sans voiture, fuyez les emballages à usage unique et préférez le vrac. Consommez-moins, faites des économies, puis travaillez moins et vivez plus. Vous avez tout à y gagner, et nos descendants encore bien plus.

Ça y est, vous sentez ? Votre niveau de bonheur qui vient de grimper sitôt que vous avez décidé d’annuler vos vacances à Santa-Fé ? Quel Sens profond que de rechercher la durabilité ! 😉

Notre environnement n’a pas de prix, alors prenons en soin. Et en plus, ça rend heureux!